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nouveaux venus[1]. Et peut-être n’étaient-ce pas toujours les aînés. De propos délibéré, Ritschl poussait les plus capables[2]. Ce fut ce nouveau venu, Nietzsche, qui réalisa le vœu de Ritschl, en créant par le Philologische Verein de Leipzig une palestre où de jeunes lutteurs, dont beaucoup ont atteint à la notoriété scientifique, apprirent à se toiser et exerçaient leur vigueur par des travaux et des discussions[3]. Cette vue du caractère « agonistique » de la vie de l’esprit, qui, elle aussi, ne se fortifie que par la lutte, n’est pas seulement observée sur les Grecs : elle est chez Nietzsche un résultat expérimental de la pédagogie ritschlienne.

Pour ces libres réunions et pour le « séminaire » de Ritschl, Nietzsche se mit au travail ardemment. Tout de suite, ses Theognidea, essai d’un étudiant de vingt-deux ans, conquirent le maître. Ritschl voulait que le lien fût personnel entre le professeur et les étudiants. Tous les jours il recevait les siens, et aucun ne fut plus assidu chez lui que Nietzsche. Pendant les mois d’absence, une correspondance s’établit entre eux, déférente et tendre du côté de l’élève et toute pleine de sollicitude attentive du côté du maître. Nietzsche allait droit aux recherches les plus épineuses. Il les choisissait très spéciales, selon le précepte ritschlien ; mais toutes se coordonnaient selon un plan vaste. Les mémoires qu’il lisait à la « société philologique » sur l’Histoire du recueil des œuvres gnomiques de Théognis, sur Les sources de Suidas, sur Les catalogues

  1. Ritschl, Opuscula philologica, t. V. p. 28. « Philologische Studienvereine, allerherrlichstes Incitament. »
  2. Ibid., V, p. 38. « Principielle Bevorzugung der fähigern, wenn auch jûngern Kräfte. »
  3. Voir leurs noms dans Crusius, Erwin Rohde, p. 11. — E. Foerster, Biogr., I, p. 232. — R. Weber, Gesch. d. phil. Vereins, p. 1 sq. — Sur le rôle de la rivalité dans la civilisation intellectuelle des Grecs, v. nos Précurscurs de Nietzsche, ch. Jacob Burckhardt, p. 303 sq.