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naître sous ses doigts lui donne de l’enthousiasme.

Immense gain, pour ce jeune Nietzsche si impressionnable et flottant, que d’avoir affaire à ce maître précis. Ritschl insufflait de l’énergie à ses étudiants, parce qu’il leur assignait des besognes limitées. « L’encyclopédisme ne peut donner de l’enthousiasme[1]. » Il prescrivait une critique apte à faire sa trouée, à pénétrer jusqu’au cœur du sujet[2] ; et, dans ce puissant forage, il aimait mieux qu’on fît erreur méthodiquement que de tomber sur le vrai par hasard.

Ce n’est pas qu’il déconseillât l’orientation la plus étendue. Elle seule permettait d’embrasser les hauteurs et les profondeurs et tout l’horizon vaste du savoir. Mais dans le choix du sujet, il fallait se borner, viser à l’épuiser et à conclure. Une lecture infinie ; le maniement personnel des livres ; une intimité avec eux qui les traite comme des amis familiers, ouvrait seule l’accès des problèmes neufs. Jamais le maître ne devait descendre au niveau de la paresse commune des élèves. Ritschl, pour sa part, jugeait préférable de les initier tous aux difficultés les plus hautes. Les plus faibles évidemment resteraient en route. On arrêtait ainsi les vocations peu certaines. Le but était d’assurer aux gymnases des maîtres qui eussent le sentiment vif de l’antiquité en même temps que la connaissance précise des textes[3]. Mais Ritschl pensait donner même aux subalternes un respect des tâches supérieures de l’esprit, qui à jamais les garantirait contre le terre-à-terre du savoir empirique. La tâche du directeur d’études, ainsi conçue, était taillée

  1. Ibid., V, p. 27.
  2. Ibid., V, p. 30. « Die Kritik muss durchschlagen, bis auf den Herzpunkt dringen. »
  3. Voir 0. Ribbeck, Friedrich-Wilhelm Ritschl, 1879-1881, t. I, p. 253 sq., t. II, pp. 31, 279. — Ritschl, Opuscula, V, pp. 29, 30.