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rationnel des ressources dont on dispose. Ritschl a eu un robuste talent d’organisateur. Dans les universités où il a passé ont surgi des « séminaires » de grec et de latin merveilleux par la perfection avec laquelle s’y faisait l’apprentissage. Pour y être admis, il fallait déjà présenter un travail personnel, gage de maturité. Mais aux rares élus, Ritschl imposait le plus rude et le plus stimulant entraînement.

Car ce savant estimait l’action d’homme à homme plus encore que l’enseignement impersonnel selon des méthodes impeccables. Plus d’un a eu, comme lui, du savoir, de la méthode et une verve éloquente ; mais on sentait chez Ritschl une joie forte qui rayonnait de lui. Non seulement il savait respecter les originalités différentes de la sienne avec ce « libéralisme » qui le faisait aimer de ceux-là mêmes qui le redoutaient[1]. Il intensifiait en chacun le sentiment de la valeur personnelle et de la dignité qu’il y a à apporter quelques pierres à cette grande cathédrale du savoir, bâtie par un effort collectif[2].

Il ne voulait pas dresser des manouvriers. Il exigeait de chacun une connaissance du plan architectural complet de la science. L’effort de chacun devait servir consciemment le dessein concerté de tous. Cette coordination des besognes donne de la fermeté intérieure {einen unverlierbaren Halt) et un peu de la joie attachée à toute œuvre créatrice. Car la science crée : Schaffen, stets schaffen, im Kleinen und im Grossen, ist das Wesen aller Wissenschaft, ailes Wahren[3] ; et l’œuvre qu’elle sent

  1. Corr., II, 170.
  2. Ritschl, Zur Méthode des phitologischen Studiums (puscula philologica, 1879, t. V). p. 22 : « Lebensfreude « sich zu fühlen — und Gefûhl der persönlichen Bedeutsamkeit, sich zu wissen als Mitarbeiter am Dombau der Wissenschaft. »
  3. Ibid., p. 22.