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critique verbale. Puis, il avait des goûts d’artiste, et, dans sa jeunesse, avait été homme du monde[1]. Ses connaissances musicales étaient approfondies, et, plus d’une fois, à l’appui de ses démonstrations métriques, entonna lui-même quelque fragment restitué de musique grecque. De ses voyages en Italie et à Paris, il n’avait pas seulement rapporté une ample provision d’inscriptions et des collations de manuscrits. Comme Gœthe, il avait aimé en l’Italie « le mélange infiniment harmonieux des teintes délicates et douces qui, pareilles à une vapeur légère, flottent sur le paysage ; cette nature, pour ainsi dire abstinente, choisie, spiritualisée dans son dessin, expressive par la précision et la clarté de ses contours » ; et il s’était fait, en matière d’art italien, une compétence qui n’avait rien de livresque. Il offrait ainsi le modèle d’une culture vraie d’humaniste ; et comme à l’érudition la plus vaste il joignait une verve intarissable, une mordante ironie, une élocution vive et imagée, il avait toutes les qualités méphistophéliques et faustiennes qu’il faut pour étonner, effrayer et séduire de jeunes et ambitieuses intelligences.

Par la fermeté logique, et par la défiance qui jamais n’admet un fait mal attesté, Ritschl a été pour tous l’exemple vivant de la méthode. Pour Nietzsche, il fut quelque chose de plus. Nietzsche n’a pas seulement appris de Ritschl les « joies de la petite productivité », ce besoin de la perfection dans la minutie qui donne, à elle seule, des satisfactions si pures. Ce que Nietzsche a découvert par lui, c’est tout d’abord l’art de dresser la jeunesse, de transmettre correctement le savoir, de tirer un parti

  1. Voir dans Arnold Ruge, Aus früherer Zeil., III, p. 335, d’amusantes anecdotes. Ruge un jour avait découvert chez Ritschl un tiroir entier plein de gants de soirée.