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parurent s’approfondir, quand on les transposait en musique. C’est le gain de son étude si soigneusement reprise du Manfred et de ce Faust de Schumann, qu’il entendit à une fête de Cologne, en juin 1865 :

Quelle profondeur de pensée dans ce dernier « chœur mystique » : Alles Vergängliche ist nur ein Gleichniss, dont je peux, à présent, suivre par le sentiment et répéter avec une foi entière les premières paroles, tout au moins !

Ces mots sont d’un ami de Nietzsche ; mais Nietzsche, présent au même festival, et membre actif d’une chorale, était secoué de la même émotion[1]. Son idée d’une exécution parfaite se précisa, quand il eut entendu les deux basses Stockhausen et Staegemann dans Israël en Égypte de Haydn, ou dans les solos des docteurs mystiques du IIe Faust. Ce fut un ϰτῆμα εἰς ἀεὶ, pour Nietzsche aussi ; et sa notion sociale, fixée alors, du renouvellement de l’âme par l’émotion des fêtes de l’art, contribue à nourrir en lui l’espérance ou l’illusion wagnérienne.

Il reste qu’il a peu travaillé. Sa force productrice sommeillait, et il en souffrit[2]. Son impatience nerveuse s’irritait de la moindre stagnation. Il semble avoir peu goûté la philosophie enseignée par Scharschmidt et l’histoire de l’Église qu’il suivit chez Kreffe. L’histoire de l’art, professée par un professeur jeune, vivant et spirituel, Anton Springer, lui procura des joies. Il n’a pas manqué de suivre les cours, tout remplis d’allusions politiques contemporaines, que faisait un des historiens les plus notoires du national-libéralisme, Heinrich Sybel[3]. Surtout, il a été pour lui d’une importance capitale de

  1. Lettre de Rohde à ses parents, 12 juin 1865, dans Crusius, Erwin Rohde, p. 9. — Nietzsche, Corr., V, 114-117.
  2. Lettre à Mushacke, août 1865, dans E. Foerster, Der junge Nietzsche p. 163.
  3. Ibid. et Corr., V, 71, 72.