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ne pas démentir son naturel cérémonieux, visita le tombeau d’August-Wilhelm Schlegel et du patriote Arndt, et déposa une couronne sur la tombe de Robert Schumann[1]. Puis ce furent les rites de l’initiation à un groupement d’étudiants.

Car Nietzsche a porté, comme un autre, la casquette bariolée de l’étudiant enrégimenté. Chez lui, l’individualisme est un acquis de l’expérience et de la critique. Son premier mouvement, dans sa jeunesse, est de sociabilité. Sa résolution fut très réfléchie. Venant de Pforta, et tout rempli des espérances du relèvement national, il devait aller droit, non pas aux « corps » des jeunes hobereaux d’esprit féodal, mais à cette Burschenschaft où il pouvait croire vivantes quelques-unes des traditions de 1813, décrites par son maître Keil. Entre plusieurs groupements, il choisit la Franconia, illustrée six ans auparavant par deux gloires du national-libéralisme militant, l’historien Hermann von Treitschke et le romancier Fritz Spielhagen. Il procéda, comme toujours, par l’acceptation de la règle. Il pratiqua donc le code de la bière ; connut les cortèges, musique en tête, à travers la ville stupéfaite ; les parties de bateau sur le Rhin ; les Kommers monstres à Rolandseck, toute la parade vaine et oiseuse de la vie corporative[2]. Il ne manqua pas d’avoir son duel, qui lui rapporta une balafre assez seyante[3]. Puis son sang de théologien, son sang thuringien de pédagogue et sa nervosité critique se réveillent. Avec quelques camarades de Pforta, il voulut faire prévaloir la tradition orgueilleuse de leur maison. Le besoin hypocondriaque de

  1. Corr., V, 68-69.
  2. Corr., V, 75-78. Les descriptions de Ueber die Zukunft unserer Bildungsanstalten (IX, p. 307), mêlées à des souvenirs de Pforta, se rattachent à cette vie de la Franconia de Bonn.
  3. P. Dussen, Erinnerungen, pp. 22-23.