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Elle l’est souvent. L’activité inconsciente peut tenir au contraire à notre intime personnalité.

L’âme ne cesse pas de vivre parce que nous cessons de la considérer par la réflexion. Ce qu’il faut apercevoir par delà cette distinction impossible du libre arbitre et du déterminisme, c’est l’individualité irréductible, faite de tous les événements passés, qui sont aperçus dans leur réfraction à travers un tempérament.

Au fur et à mesure que l’évolution engendre des formes plus organisées, cette impression sera moins mécanique. La série des faits sera davantage modifiée par des réactions plus compliquées. Ainsi nous pourrons tirer parti des événements, en assimiler la substance.

Y a-t-il des hommes qui créent toute leur personnalité ? Oui, ce sont ceux que nous appelons les génies. C’est pourquoi les génies suivent des règles autres et plus hautes que l’homme ordinaire. Ces règles semblent contredire, à première vue, nos principes de droit et de morale, mais elles ne sont, sans doute, que les mêmes principes plus largement interprétés.

Le mystère qui entoure le génie et le pressentiment qu’on a de ses desseins sont ce qui fascine la foule. Mais que le grand homme se montre dans son aspect vrai ; que les conséquences audacieuses de ses principes apparaissent, les hommes se détournent avec scandale ; et le grand homme demeure abandonné dans sa lutte contre la vulgarité, où il s’envase. Nietzsche s’explique ainsi la catastrophe de Wallenstein et de Napoléon. Dès 1863, il conçoit l’homme supérieur comme un « immoraliste », mais comme un immoraliste qui paie de sa vie l’audace d’échapper aux lois.