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mauvaise, une pénible condition sociale, un milieu monotone, suffisent à incliner une âme vers la vulgarité. Des influences que nous ignorons nous déterminent. Comment pourrions-nous réagir contre elles ? Il en est de même des peuples. Rien de plus faux que de vouloir leur imposer des formes sociales identiques, comme le veulent les socialistes. Les événements particuliers décident de la marche des choses. Voilà le fatum, la force infinie de résistance où se bute la volonté libre. Faut-il dire que cette résistance sera la plus forte, à tout jamais ? L’homme serait alors un éternel captif ; il ne serait pas maître de son avenir. Ou faut-il croire que son libre arbitre aura raison de la résistance infinie ? Mais l’homme alors serait Dieu.

Il n’est pas Dieu, reprend Nietzsche, mais il peut devenir plus divin. Le fatum n’est donc pas cette puissance effroyable que s’imagine la pensée. Il est une abstraction. C’est ce qui explique que les peuples fatalistes soient si souvent des peuples énergiques. Le fatum est la série des événements. L’homme qui agit crée des événements, donc il crée pour une part la fatalité à laquelle il obéira. Tous les événements qui nous entraînent, ne nous touchent et ne nous déterminent que s’il y a déjà une réceptivité en nous qui les accueille, mais qui réagit aussi sur eux spontanément. Dans cette réaction spontanée se traduit notre personne. Tous nos actes sont donc à la fois libres et déterminés. Ils viennent de nous et des choses. Et la liberté qui est nôtre, n’est pas seulement en nous dès notre enfance, mais dès notre préexistence, dans nos aïeux.

Nous avons la mauvaise habitude d’appeler libre l’activité consciente et d’appeler fatale l’activité inconsciente. Il y a là une confusion très grande. Il se peut bien que l’action consciente soit gouvernée par des impressions.