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sonantes qui permettent à la musique moderne de noter des nuances plus subtiles de l’émotion. « Qui ne s’est point, écrivait Schumann, un soir assis au piano, au crépuscule, et, tout en improvisant, n’a, sans le savoir, fredonné une mélodie ? » Cette difficulté de préciser le sentiment sans paroles, mais avec toutes ses sonorités subconscientes, est celle qui préoccupait Nietzsche. « Quand il m’est permis de méditer quelques minutes, écrit-il en 1863, je cherche des paroles pour une mélodie que je tiens et une mélodie pour des paroles qui préexistent. Mais paroles et mélodie, dont je dispose, ne s’accordent point entre elles, bien que jaillies d’une même âme. Tel est mon sort[1] ! »

Toute sa vie, ce mystique musical cherchera la mélodie digne d’accompagner sa pensée. Il crut longtemps que la pensée jaillissait de la mélodie. Puis un jour, il comprit qu’il lui fallait pénétrer de musique le langage des idées lui-même et créa, pour l’expression de son âme sonore, la prose la plus imprégnée de mélodie que les Allemands aient écrite.

Les essais auxquels Nietzsche s’évertuait impérieusement n’avaient pas d’autre valeur que de le former. Ses vacances de 1862 se passaient à composer des « Esquisses hongroises ». Lenau et Petœfi avaient une notoriété récente. Il écrit sur leurs poèmes des mélodies du genre de Schumann : Heldenklage, Nachts auf der Haide, Haideschenke, Zigeunertanz, Heimweh, et d’autres sur des motifs serbes[2]. En 1860-1861, il avait composé un Oratorio pour Noël comme pour rivaliser avec les grands

  1. Lettre à sa mère et à sa sœur, septembre 1863 {Corr., V, 41). Raoul Richter, Fr. Nietzsche, p. 18 a, le premier, fait remarquer l’importance de ce texte.
  2. Corr., V, 26 ; E. Foerster, Der junge Nietzsche, 106, et Abel Barabas, Nietzsche et Petœfi (Revue Hongroise, 13. mars 1910, p. 327 sq.)