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Avec cela, sa science historique allait se consolidant. Il absorbe d’immenses lectures sur la Révolution française[1]. Il fait des extraits soigneux de l’Histoire de la littérature au xviiie siècle par Hettner ; et comment ne pas remarquer que, parmi tant d’historiens, il choisisse celui qui tient le mieux compte du lien qui joint la culture littéraire de l’Allemagne à sa culture musicale[2] ?

Car son goût et son savoir musical aussi se fortifiaient. Plus que jamais Nietzsche improvise et compose ; mais il apprend aussi. À son goût de Haydn, dont les symphonies lui paraissent, en 1863, « gracieuses et touchantes dans leur charme enfantin »[3], se joint depuis quelques années la prédilection pour Schumann. Les lieder, le Requiem pour Mignon, les Fantaisies, les Scènes enfantines remplacent pour lui les classiques. Dès lors, il lui était difficile d’en rester à ses sévérités pour la musique nouvelle. Schumann n’avait-il pas le premier introduit Berlioz en Allemagne, et reconnu en lui « la terreur des Philistins »[4] ? Ses feuilletons n’avaient-ils pas, les premiers, glorifié Franz Liszt ? « On ne cesse pas d’apprendre, disaient les Règles de vie musicale, du méditatif musicien[5]. « La musique est de tous les arts le plus tardivement développé[6]. » Conviction qui fera son chemin dans l’esprit de Nietzsche, et qui se retrouvera dans Menschliches, Allzumenschliches[7].

Pour l’instant, Schumann lui faisait comprendre que « l’intelligence des maîtres les plus individuels de la musique est difficile » aux simples[8]. À mesure que sa sensibilité s’affinait, il goûtait mieux les harmonies dis-

  1. Il la connut d’abord par Arnd, Gesch. der franz. Révolution, 1851.
  2. Corr., V, 35.
  3. Ibid., V, 33 ; p. 11, 13, 42.
  4. Schumann, Musik und Musiker, Ed. Reclam, II, p. 203.
  5. Ibid., III, p. 175.
  6. Ibid., I. p. 41.
  7. II, § 171 (W., III, 90)
  8. Schumann, I, p. 41.