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ditions « dont le concours, dans le cas le plus favorable, empêche le génie d’être étouffé »[1]. S’il a repris depuis la théorie platonicienne de la sélection savante du génie, c’est en songeant à son propre développement difficile. Pourtant quelle enfance mieux choyée ? Sa supériorité s’est imposée d’emblée. Son grand-père Oehler la devinait. Les camarades la reconnaissaient. On a recueilli de Nietzsche adolescent les moindres essais de composition poétique ou musicale. Toujours de tendres regards ont surveillé en lui le génie qui couvait. Mais il n’a peut-être pas toujours eu les meilleurs guides, et une tendresse mêlée de préjugés est parfois une entrave. Il faut tâcher de tirer un enseignement de ce que Nietzsche nous a confié. Il a aimé tout jeune à s’analyser, à s’arrêter pour méditer aux tournants de la route[2]. Mme Foerster a mis en évidence ces confessions d’une âme qui se cherchait avec un scrupule très précoce. Discrètement, elle a voulu s’effacer et laisser parler Nietzsche. Elle apporte beaucoup de menus souvenirs personnels, avec une abondance où rien n’est inutile. Sans redire par le menu ces anecdotes, on tâchera ici de les faire parler, ainsi que toutes celles amoncelées par les autres témoins de la vie.

Naumburg, quand s’y installa la mère de Nietzsche, était une petite ville ceinte de remparts et de fossés profonds, franchis par cinq ponts-levis qui se relevaient le soir. Une des plus belles cathédrales d’Allemagne surgissait des toits enchevêtrés qui composaient alors cette


  1. Schopenhauer als Erzieher, § 7 (W., I, 471).
  2. Nous avons de la sorte un récit de son enfance rédigé par Nietzsche en 1858 ; un carnet rédigé à Pforta depuis 1860 ; des fragments autobiographiques écrits en 1865 et 1869. Ils sont épars dans l’ouvrage de Mme Foerster. La lettre à G. Brandes du 18 avril 1888 est une véritable autobiographie. Des confessions nombreuses se trouvent dans le Nachlass. L’Ecce Homo est un dernier regard jeté sur son passé, 1888.