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de juillet 1849 le malheur entra dans la maison. Quelle en fut la cause ? Est-ce cette chute que fit Karl-Ludwig un soir d’août 1848, où, rentré tard, il buta sur le seuil et tomba du haut perron de sa maison ? Sa chute fut-elle cause ou effet d’une lésion cérébrale ? On ne saurait le dire. Pourtant on ne peut négliger le témoignage de son fils, qui dans cet accident a toujours vu une prédestination morbide. Les douleurs de tête lancinantes lui laissèrent une accalmie au printemps de 1849. Le pasteur Nietzsche put instruire son fils. Puis en juin, elles reprirent. Il se sentit perdu. Il mourut le 30 juillet. À peu de mois de là, le dernier né, Joseph, le suivit. Les Nietzsche quittèrent alors le bourg de Roecken. Une nuit d’avril en 1850, de hautes voitures chargées attendaient dans la cour. Un chien aboyait tristement à la lune. Le Zarathustra dira combien fut triste ce jappement d’un chien à la lune, la nuit où le presbytère de Roecken devint pour Nietzsche une maison étrangère[1].


III

naumburg (1850-1858)


L’enfance importe beaucoup chez un philosophe qui a dit plus tard que la perfection humaine serait de redevenir un enfant. Il y a du souvenir dans cet idéal. Mais on peut assigner une autre raison. Nietzsche a souvent écrit, dès sa première philosophie, que la nature gaspille ses forces avec une prodigalité coupable. Elle ne travaille pas avec suite à la sélection des hommes supérieurs. Le philosophe comme l’artiste sont chez elle une réussite rare. Nietzsche a noté à propos de Schopenhauer les con-

  1. Zarathustra, Vom Gesicht und Rätsel. (W., VI, 232, 233.)