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Oehler, cavalier et chasseur, et sa robuste femme, fille de gros agriculteurs-propriétaires de Wehlitz, avaient élevé dans la sévérité luthérienne, dans la piété et sous une discipline de fer, onze garçons et filles, bien portants et turbulents. Franzisca Oehler était le dernier de ses sauvageons ; et transplantée dans le grave presbytère d’un mari plus âgé de treize ans, elle ne semble pas s’être faite sans efforts à sa vie nouvelle. « Les dissonances non résolues entre le caractère et les croyances des parents se prolongent dans l’enfant et font l’histoire de sa souffrance intime », a écrit Nietzsche depuis[1]. Les Oehler avaient des croyances chrétiennes et un caractère profane. Les Nietzsche étaient des ascètes, mais avec du raffinement de libre pensée. Les uns et les autres étaient impérieux, mais exprimaient dans des formes différentes leur besoin de dominer. Dissonances dont le prolongement a fait la souffrance intérieure de Nietzsche.

À côté de son mari, trop délicat, trop amenuisé par l’intelligence, cette jeune femme, ronde, rose, vive et batailleuse, représentait la vigueur et la vie. De leur mariage, tout uni, il naquit après Friedrich deux autres enfants : une fille, Élisabeth, qui parait ressembler surtout à sa mère ; un jeune frère, Joseph. La tendresse des époux, durant ces six années de leur vie commune, fut réciproque et profonde. L’entente fut plus difficile avec Mme Erdmuthe, la belle-mère, et avec Mlle Rosalie Nietzsche, établies aussi au presbytère de Roecken. Le didactisme de la vieille fille et la vivacité de la jeune maîtresse de maison se livrèrent plus d’une escarmouche. Le pasteur, ulcéré, fermait les yeux, se perdant dans ses rêves.

L’idylle dura, traversée d’orages vite apaisés. Au mois


  1. Menschliches, I, § 379 (W., II, 301).