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Nietzsche, et qui de toutes les souffrances de l’homme tire un enseignement de perfectibilité morale[1].

Cet excellent prédicateur avait épousé une Krause, d’une famille venue du plateau central thuringien, du Vogtland, et où on était fréquemment théologien aussi. Un homme de cette souche, Johann-Friedrich Krause (1770-1827), n’est pas un inconnu. Il professait à l’Université de Kœnigsberg à l’époque de Kant. Il succéda à Herder comme surintendant ecclésiastique du duché de Saxe-Weimar. C’est de ce Krause que viennent les yeux noirs étincelants qui brillaient d’une flamme si méditative dans la physionomie de l’arrière-petit-fils. Mais aucun des Krause ne les eut plus éloquents dans un visage décidé et affable que cette Erdmuthe Nietzsche, femme de Friedrich-August-Ludwig, qui fut la grand’mère de notre philosophe. Elle seule peut-être était née fragile. C’est pourquoi une femme crut conjurer le sort en conseillant de lui donner le nom d’Erdmuthe, « afin qu’elle demeurât fidèle à la terre »[2]. « Rester fidèle à la terre » est un précepte d’une théologie un peu séculière qui désormais se transmettra dans la famille des Nietzsche : le Zarathustra ne l’oubliera pas.

L’homme d’élite vrai que produisit cette famille ne fut pas celui qui conquit le plus de dignités. Ce fut Karl-Ludwig Nietzsche, théologien lui aussi, père de Friedrich. Il n’y a pas d’homme dont Nietzsche ait parlé avec plus d’admiration tendre. L’a-t-il idéalisé par piété filiale ? Des témoignages non douteux le dépeignent grand, mince, exact et doux, d’une grande finesse de manières,


  1. Mme Foerster n’a pas indiqué la source où elle puise Biogr., I, p. 7. et Der Junge Nietzsche, p. 4. Je donne ses renseignements, un peu complétés, d’après une chronique de la ville d’Eilenburg pour l’année 1829. publiée dans la Frankfurter Zeitung, 19 septembre 1912.
  2. E. Foerster, Einiges von unsern Vorfahren (Pan, 1899, p. 215).