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éolienne, ne peut se tenir d’analyser, et sa musique suit volontiers l’émotion littéraire des poètes auxquels il s’adapte. Richard Wagner résume tous ces dons accumulés d’une longue culture. Agressif réformateur, c’est la nation et l’univers qu’il prétend renouveler jusque dans la vie profonde des âmes. Il a des colères prophétiques comme Fichte. Il est servi par le plus orgueilleux savoir. Et quoi de plus vrai que les paroles de Nietzsche sur « cette maîtrise qu’il a eue des choses toutes menues », sur ce don incomparable chez Wagner de rendre « les couleurs de l’automne tardif, le bonheur indescriptiblement émouvant des joies dernières, suprêmes et infiniment brèves[1] » ?

De tous ces hommes, aucun n’a été étranger à Nietzsche. Cette culture de toute une région fut celle où ont plongé ses ancêtres les plus directs. Comment croire qu’ils n’en aient rien retenu et ne lui en aient rien transmis ? Ne nous a-t-il pas dit comment il lisait et écoutait : « De même que les Italiens s’approprient une musique, en l’attirant dans le sens de leur passion, où ils l’incorporent — ainsi je lis les penseurs et je fredonne à leur suite leurs mélodies : Je sais que derrière les paroles froides s’émeut le désir d’une âme que j’entends chanter. Car mon âme aussi chante, quand elle est émue[2]. »


II

les aïeux et la première enfance. — rœcken (1844-1850)


Si quelque disciple de Gustave Freytag venait à compléter les Bilder aus der deutschen Vergangenheit, il lui


  1. Fröhliche Wissenschaft., § 87 (W. V, p. 120). — Nietzsche contra Wagner, VIII, p. 185.
  2. Morgenröthe, posth., § 605 (W. XI, 386).