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a eu de la protestation, de la révolte intellectuelle contre le temps présent chez tous les grands Saxons, chez Luther, chez Lessing, chez Fichte. Leur ton naturel est celui de la colère religieuse. Ils sont prédicateurs et moralisants[1]. Ils ont dans le sang une ardeur de prosélytisme qui les pousse sur l’adversaire avec une éloquence agressive. Treitschke, lui aussi Saxon d’origine, quoique Tchèque de nom, représente, pour la pensée de l’Allemagne unifiée, ce même apostolat éloquent qui fera de Nietzsche le visionnaire et le pamphlétaire de la civilisation nouvelle.

Ce sont des apôtres que ces hommes, mais ce sont aussi des savants. L’humanisme n’a nulle part une floraison plus abondante. Justus Menius, le réformateur thuringien préoccupé de discipliner jusque dans le détail l’esprit de la famille chrétienne[2], est aussi un délicat érudit. Plusieurs citadelles de science s’étaient installées sur le pays, pour parfaire la colonisation spirituelle quand la conquête du territoire depuis longtemps était faite par les armes et par la civilisation. Parmi ces places fortes du savoir, il n’y en a pas de plus ancienne que la vieille abbaye de Schulpforta, que les moines de Cîteaux avaient fondée au xiie siècle au seuil de la Thuringe et de la Westphalie, et que le duc Maurice de Saxe, en 1543, a consacrée à l’enseignement public. Puis à l’est, Meissen recueillait séculairement une clientèle d’élite. Dresde avait, depuis le xviie siècle, son école de princes. Dans toutes ces écoles se préparait une jeunesse qui ensuite apprenait la vie et la science dans les Universités. Wittenberg sans doute avait décliné depuis la guerre de Trente ans. À sa place, Leipzig était éminente depuis la même époque et


  1. Voir dans Kuno Fischer, au Volume sur Fichte, les raisons finement développées pour lesquelles Fichte est qualifié par lui de prédicateur.
  2. Dans le De Oeconomia Christiana, 1527.