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de son visage paraissait slave au point que les Polonais, s’y trompant, l’abordaient comme un compatriote[1]. Mme Foerster n’a pourtant jamais ajouté une foi entière aux documents par lesquels un Polonais peut-être mystificateur prétendit prouver à Nietzsche qu’il descendait d’une famille de comtes Nietzky, bannis de Pologne pour conspiration politique et religieuse. Nietzsche se trompe sans nul doute, quand il croit découvrir en lui-même quelque chose de l’esprit aristocratique redouté qui en Pologne livrait au veto d’un seul le droit de renverser le vote d’une diète entière. Pur effet littéraire chez lui encore, que cette fantaisie de se comparer au Polonais Copernic, qui d’une seule parole fit changer le cours des astres. Nietzsche n’appartient probablement pas à ce peuple dont il parlera encore avec orgueil dans le Zarathustra et qui eut pour supériorité principale de « dire la vérité et de savoir bien user de l’arc et des flèches »[2]. S’il est Slave, c’est par cette longue infiltration de sang qui s’est continuée depuis la colonisation germanique, et qui semble avoir donné un si fécond mélange. « La région la plus dangereuse de l’Allemagne est la Saxe et la Thuringe, a-t-il dit un jour : nulle part il n’y a plus d’intellectualité industrieuse, ni une plus grande liberté de l’esprit. »

Il sera toujours impossible de dire si le peuple thuringien reproduit les traits des races composantes, germanique et slave. Mais sûrement il a, dans sa vigueur et dans sa mobilité, des traits à lui. On a remarqué ingénieusement que la Thuringe est la région de la Réforme[3]. Il y



  1. Lettre à Brandes. Corr., III, 299.
  2. Zarathustra. Von tausend und Einem Ziele. (W., VI, 80.)
  3. Sur ce point, voir divers aperçus dans le charmant livre d’Erich Eckertz, Nietzsche als Künstler, 1910, pp. 27-51.