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Nietzsche a cru de bonne heure que les qualités éminentes de l’esprit et du caractère trouvent une explication dans leurs origines et dans une lente croissance. Personne n’a vénéré autant que lui le mystère de l’individualité irréductible. Mais il a pensé que toute grandeur est, pour une part, un héritage. Comment se manifeste au dehors ce qui a grandi longtemps obscurément ? La philosophie de Nietzsche le recherchera d’un effort continu jusqu’au dernier jour. Attachée à définir le rôle de l’humanité supérieure dans le monde, elle inventera des hypothèses successives sur les, causes qui la font naître. Un juste orgueil, qui ne fut pas toujours morbide, l’amenait parfois à rechercher ainsi le secret de sa propre formation.

Ma fierté, écrira-t-il, entre 1881 et 1883, c’est d’avoir une ascendance ; c’est pourquoi je n’ai pas besoin de la gloire… En moi surgissent à la lumière et dans leur maturité maintes choses qui ont eu besoin de vivre embryonnairement, pendant quelques milliers d’années[1].

Nietzsche, quand il parle ainsi, songe aux fatalités de l’atavisme physique, mais aussi à la lignée d’ancêtres tout spirituels, que l’effort d’une culture librement choisie lui a donnés.

Dans tout ce qui émouvait Zoroastre, Moïse, Mahomet, Jésus, Platon, Brutus, Spinoza, Mahomet, moi aussi déjà je préexiste.


  1. Fröhliche Wissenschaft, posth., § 456 (XII, p. 216).