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252 LE LIVRE DE LA TRAGÉDIE lait, dans les fêtes religieuses, les représenter. Le cortège de Bacchus prenait donc des masques de satyres. Une émotion contagieuse s’emparait alors de cette suite masquée. Un jeu pathétique se déroulait. Le chœur entrait dans le rôle des satyres qui accompagnaient Dionysos, non seulement dans ses aventures joyeuses, mais dans ses luttes et dans ses souffrances. Il satisfaisait ainsi à ce besoin profond de l’homme, qui consiste à vivre, par l’imagination au moins, une vie divine à la fois et à demi élémentaire (’). A y réfléchir, y a-t-il une seule de ces idées que Nietzsche n’ait pas recueillies? Cette idée surtout que le dévot de Dionysos, vêtu en satyre, se sent envahi de la vie divine, ne passera-t-elle pas tout entière dans l’analyse de l’esprit dionysiaque ? Nietzsche n’aura qu’à prendre des mains d’Otfried Müller la théorie du dithyrambe tragique et à ajouter que les spectateurs représentent un chœur élargi, auquel il manque tout au plus d’être grimé et de savoir dire des vers avec des danses. Mais, comme le chœur, l’auditoire est tout entier emporté par le tourbillon de la métamorphose mystique. L’idée enfin que la tragédie grecque n’est qu’un tableau vivant, emprunté aux cultes populaires ou ésotériques, n’a plus été abandonnée par la science. Vérités partielles qu’Otfried Müller sans doute a compromises par plus d’une conjecture hasardée. Il faut donc chercher ailleurs que chez lui les origines de la tragédie, qu’il s’est obstiné à chercher dans le dithyrambe. La philologie s’est étonnée, depuis, des erreurs de Nietzsche. Elle oublie que Nietzsche y a été entraîné par ses devanciers les plus grands. L’erreur sur (’) 0. MÜLLER, Griechische Litteraturgeschichte,(I, 482-487. — 0. Müller pense que le nom de tragédie vient de ce que le chœur dansait autour d’un autel où un bouc était offert en sacrifice. Il n’ose pas tirer les conséquences de sa propre théorie.