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trait en Allemagne, se crut ensemble le guide de l’humanisme, de la philosophie et de l’art à venir.

Il poussa dès lors à fond ses études grecques. Pathétiquement, pour Noël 1870, il offrit à Cosima, comme une silencieuse protestation, le fragment que Wagner n’avait pas voulu citer de mémoire : Die dionysische Weltanschauung. À Richard Wagner, il fit présent d’une estampe de Durer, le fameux Saint Hubert ou, comme l’appelait Nietzsche, le chevalier entre la mort et le diable. Or, n’en doutons pas, « ce chevalier sous le harnais, au dur regard d’airain, qui, sans souci de son horrible cortège, mais sans espérance, seul avec son cheval et son chien, sait poursuivre son chemin d’épouvante », symbolise Nietzsche en personne, affirmant qu’on ne l’arrêterait pas dans sa recherche aventureuse de la vérité.

Le séjour de Tribschen, à Noël, le réconforta pourtant. Wagner y multipliait les attentions pour la jeune Ménade amoureuse qui l’avait suivi et qui portait à présent son nom. Le 25 décembre, un orchestre introduit clandestinement dans l’étage supérieur de sa villa, exécuta pour la première fois la symphonie puissante et douce qui s’appelait alors l’Idylle de Tribschen, et qui, en commémoration de l’enfant né récemment et de l’œuvre venue à terme, s’est dénommée depuis Siegfried-Idyll. Dans cette vie artiste, Nietzsche ne fut jamais de trop. Faut-il ajouter qu’il ne fut pas tout à fait compris ?

Il travaillait avec vigueur à son grand livre sur les Grecs. Ce livre avait changé diverses fois de nom. L’hiver de 1870-71, il l’appela La sérénité grecque. Il s’agissait d’expliquer par quelle discipline sociale et par quel changement intérieur la sombre imagination asiatique du premier pessimisme hellénique s’était éclairée jusqu’à faire de l’intelligence grecque la plus mesurée qu’il y ait jamais eu. Nietzsche vint lire le fragment à Tribschen, à