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il pas, lui aussi, à ce moment même[1] ? Le grand problème des rapports entre la musique et les paroles, la danse et le drame qui, durant tout le xixe siècle, a obsédé les théoriciens, Wagner devait-il se l’interdire ? Oui, sans doute pour ce rêve abîmé dans l’extase, et en qui se précisent peu à peu des images plastiquement belles, Nietzsche, songeant aux Grecs, trouvera un autre nom. Son émulation doit se sentir stimulée quand il voit son maître approcher des problèmes dont la clef lui manque, tandis que la connaissance de l’hellénisme et une méthode folk-lorique nouvelle en fournissent à Nietzsche la solution. Mais où Nietzsche prenait-il des raisons de défiance irritée ? On en devine une cependant : Loin de plagier Nietzsche, Wagner l’oubliait un peu :

Sur les rapports entre la musique et les formes plastiques du monde des phénomènes ou entre elles et les notions abstraites des choses, il est impossible de produire des considérations plus lumineuses que celles que nous lisons là-dessus dans tes ouvrages de Schopenhauer. C’est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas d’une façon superflue et nous allons passer au problème vrai de notre recherche ; nous examinerons la nature du musicien lui-même[2].

Nietzsche, précisément, ne croyait-il pas, par son esthétique, avoir éclairci une obscurité du schopenhauérisme ? Et c’était cette tentative que Wagner déclarait « impossible » et « superflue » ? Ou, s’il n’en avait pas remarqué la décisive nouveauté, quel rôle subalterne était celui de Nietzsche dans leur amitié ?

Le même malaise se reproduisait quand Wagner reprenait la doctrine schillérienne sur le pathétique. Il disait alors de la musique ce que Schiller avait dit de la tragédie. Elle ne traduit pas le beau, mais le sublime. Car

  1. V. plus bas : Les Sources du Livre sur la Tragédie, § VII : Franz Liszt.
  2. R. Wagner, Ibid., IX, 77. — C’est nous qui soulignons.