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rique de son Retour éternel ; quels moralistes, de Montaigne à Dostoïewsky, nourrissent son interprétation de l’homme.

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II. — Ce travail achevé ne me dispensait pas de vérifier comment Nietzsche suivait sa propre maxime :

« Errer dans la nature, avec astuce et joie ; y dépister et prendre sur le fait la beauté des choses, comme nous essayons, tantôt par temps de soleil, tantôt sous un ciel orageux, tantôt dans le plus pâle crépuscule, de contempler tel morceau de côte, avec ses rochers, ses baies, ses oliviers, dans l’éclairage où il atteint sa perfection et, pour ainsi dire, sa maitrise…

De même, circuler parmi les hommes, pour les découvrir, les explorer, en leur faisant du bien ou du mal, afin que se révèle leur beauté propre, ensoleillée chez l’un, orageuse chez l’autre, et, chez un troisième, épanouie seulement à la nuit tombée et sous un ciel pluvieux [1]. »

Sa pensée seule choisit donc ses amitiés, les embellit et les ravage. Nietzsche aborde les hommes avec un idéal de l’homme ; les baigne, les fait chatoyer un temps dans cette ardente lueur d’enthousiasme qui sort de lui et que, à la moindre imperfection aperçue, il laisse éteindre. Il s’écarte alors et se retire dans une silencieuse ou, grondante déception. Il s’est toujours fait lui-même le prisonnier de la solitude, entourée d’une septuple muraille, qui lui a été chère et cruelle.

Car il a été un tendre cœur, aimant et faible, autant qu’ombrageux. S’il n’a été heureux par aucune femme, il a sûrement adressé à plus d’une la prière inexaucée que nous lisons dans le Gai Savoir [2]. Ayant un idéal de l’homme, comment n’aurait-


  1. Morgenröthe, § 468. (W., IV, 314.)
  2. Fröhliche Wissenschaft, Vorspiel, §. 25. (W., V, 20.)