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s’est invétérée de penser par idées claires ? Si les dieux ne sont que les désirs de l’homme projetés en dehors de nous, comment ne pas aimer ou haïr en eux-mêmes ces désirs ? Comment ne pas les raisonner ? Comment alors le chœur et l’action du drame n’offriraient-ils pas un contenu didactique ? La tragédie meurt de la franchise d’Euripide. La franchise serait-elle un vice ? Toujours on était ramené à cette alternative qui nous impose de choisir entre l’illusion salutaire et la vérité. Wagner choisissait par le cœur. Il fallait, pour choisir philosophiquement, une doctrine aux yeux de laquelle l’intelligence elle-même n’atteint pas le vrai, et ne réussit pas même, après avoir déchiré les voiles du mythe, à nous consoler de l’effroyable spectacle, que le mythe imagé avait du moins le mérite de recouvrir de beauté.


III

litiges de priorité entre wagner et nietzsche


Wagner avait fait une telle tentative. Son Beethoven (1870) offrait une philosophie de la musique qui essayait de descendre aux sources où naissent les pensées non desséchées par l’abstraction[1]. Il se risquait à dire pourquoi la philosophie schopenhauérienne rendait compte de l’art wagnérien et de toute musique. Il n’y a peut-être pas de livre, après les essais d’Emerson, où Nietzsche ait mieux appris l’art de présenter une grande idée comme l’événement d’une grande vie.

Toutefois, c’était là un apprentissage de forme. La doctrine, à qui appartenait-elle ? Il faut deviner ici entre Nietzsche et Wagner un antagonisme d’influence, qui grandit, causé par l’orgueil de l’un et de l’autre. Était-ce

  1. Corr., I, 174 ; II, 220.