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rente énigme. Dans les milieux wagnériens, Ariane était le surnom de Cosima. Mais cette Ariane avait abandonné son Thésée, pour le Dionysos nouveau, Richard Wagner[1]. Nietzsche recueille ce drame intime de la vie de Wagner pour en faire le noyau de son drame didactique. La tragédie se déroule dans sa double cruauté : les tortures du cœur et l’effroi d’une catastrophe générale.

Sur la scène, Empédocle, poète et tragédien, tient le rôle de Dionysos. Il est le philosophe qui, pour une besogne de civilisation dont il sait seul le secret, use du sortilège de l’art. Jamais Wagner n’a été glorifié avec tant de pathétique. Comme il est triste que Nietzsche nait pas écrit ce premier de tous les « dithyrambes dionysiaques », projeté dans sa jeune ferveur wagnérienne ! Dionysos eût annoncé la palingénésie de toutes choses. Sa parole puissante et inspirée, comme celle du Satyros de Gœthe, eût déversé sur le peuple une ivresse joyeuse de mourir. Le sacrifice enivré de soi, voilà la guérison des civilisations frappées de décrépitude.

Le drame eût atteint la cime de l’émotion, dans le heurt des pensées contradictoires. Remous dans le peuple et lutte dans le héros. Des rumeurs commencent à courir sur cette farouche volonté d’anéantissement qui a germé dans Empédocle : Et, sans pitié, le philosophe, grimé en dieu, eût continué sa prédication. Pausanias, fiancé de Corinne, s’affaisse dans les convulsions de la mort, et Corinne va courir à son secours : Empédocle sait l’en

  1. Mme E. Foesrster, Der junge Nietzsche, p. 292, et dans Wagner und Nietzsche zur Zeit ihrer Freundschaft, 1915, p. 108, nous apprend que Hans de Bülow, passant à Bâle en décembre 1871, avait fait un jour devant Nietzsche cette allusion amère. Notre interprétation suppose que Nietzsche a retrouvé spontanément l’affabulation ou que le langage de Hans de Bülow lui était connu dès 1870. Dans les cénacles wagnériens, tous les racontars se transmettaient très vite.