Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impuissant. Il faut pour conjurer l’invisible mal une magie plus forte. C’est aux pieds d’Empédocle, apparu avec ses patères de sacrifice, que se jette Pausanias, délirant de terreur. Est-ce là la pure tradition grecque ? Non, Corinne a honte pour son fiancé. Son indignation s’élève contre le thaumaturge, dont elle ignore les sortilèges vrais. Et la clarté du jour se lève sur ce désarroi de deuil.

Empédocle suit la foule. Il se tient voilé devant l’autel, dans la salle où les gérontes de la cité vont délibérer[1]. Il nomme le fléau qui décime la cité : « La peste est parmi vous : Soyez des Hellènes ! » Il interdit la crainte et la pitié, indignes des Grecs. Mais cette cité amollie ignore l’héroïsme ancien. Un effarement ridicule s’empare de ces hommes graves. La multitude dans l’épouvante prend d’assaut la salle. Elle impose à Empédocle la couronne royale. Il sait le secret du salut. Ne voit-il pas fumer l’Etna proche ? Mais la médication qu’il propose sera une magie nouvelle : Elle consiste à instituer la tragédie. Le drame grec est un acte sacramentel, destiné à rendre aux âmes, avec le goût de la mort sublime, la force héroïque défaillante.

Ainsi l’art est l’interprète prophétique de la douleur humaine ; et il lui suffit de l’évoquer pour la guérir. La nature doit frissonner devant une telle révélation ; et comment Corinne qui est femme, c’est-à-dire nature, n’aurait-elle pas ce frisson d’effroi ? Elle se ressaisira pourtant. Le rôle est conçu dans un héroïsme simple comme celui du prince de Hombourg dans Kleist. Mais la tragédie commence : Elle représente Dionysos sauvant Ariane, après la trahison de Thésée. Subtile et transpa-

  1. Nietzsche les appelle Ratsherrn, comme à Bâle.