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femme de style supérieur » qu’il eût connue[1]. Devant les dangers qui les circonviennent, que feront ce peuple corrompu et celle qui est restée « le modèle de l’hellénisme » ? Le drame s’ouvre sur une nuit étrange, traversée de souffles sulfureux et lourds. Deux esclaves s’entretiennent des fêtes dionysiaques annoncées pour le lendemain. Il faut être jeune, comme Charmide, pour se réjouir des heures de liesse promises aux humbles le jour où l’on fête Dionysos. Le vieillard Léonidas n’oublie pas la Grèce où il a vécu en citoyen libre ; et sa sagesse s’inquiète de ces hautes flammes apparues au sommet de l’Etna qui gronde.

Des scènes contradictoires se suivent qui justifient sa crainte. Pausanias accourait dès l’aube chargé de couronnes pour la fête, et prêt à relire avec sa fiancée Corinne, pour mieux les fixer dans leur mémoire, les rôles qu’il tiendront au théâtre le lendemain[2]. Cependant les symptômes d’épouvante s’accumulent. Des paysans passent : une jeune fille tombe frappée à mort. Un invisible fléau sévit. En vain Pausanias essaie de réciter son rôle. Sa mémoire s’est abolie dans l’effroi. Il se croit, il se sait atteint ; et aucune parole de Corinne ne l’apaise. Déjà dans les rues, comme dans l’Œdipe Roi de Sophocle ou dans le Robert Guiscard de Kleist, un cortège de peuple se traîne, avec des lamentations. Auprès de qui cherche-t-il secours ? Un rhapsode paraît. Sera-t-il le guérisseur ? Nietzsche savait que la première utilité qu’on eût demandée à la poésie était de servir d’incantation : elle apaisait la colère des dieux[3]. Mais le rhapsode homérique est

  1. E. Foerster, Biogr., Il, p. 862.
  2. Nietzsche notera cette habitude grecque de parer de fleurs, jusqu’à l’excès, les dieux et les hommes aux jours de fête. (Philologica, III, p. 120.)
  3. Philologica, II, p. 141.