Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supporter le message. Il répand cette vérité avec l’obstination d’un idéalisme entaché, lui aussi, d’une surhumaine scélératesse. Car la vie n’est peut-être pas faite pour le vrai, et il est peut-être nécessaire de la sauver par de salutaires mensonges. Qui ne voit que cet Empédocle de Nietzsche dépeint les tentations qui peuvent venir de la liberté extrême de l’esprit, c’est-à-dire de la philosophie où se croyait parvenue l’école schopenhauérienne.

Ce conflit intérieur, tragique comme le conflit où périssait Wallenstein ou comme l’hésitation d’Hamlet, c’était donc le drame de la conscience philosophique nouvelle. Mais au dedans de ce drame, selon une technique toute shakespearienne, flottait un drame plus petit qui retraçait la vie du philosophe. Il empêchait le grand drame de se perdre dans le didactisme pur. Les grandes idées proclamées d’un verbe sonore par le philosophe qui fascinait les foules, elles le transformaient aussi en lui-même, l’atteignaient dans ses tendresses, créaient autour de lui une atmosphère de tragédie intime. Et il fallait que ce drame restreint décrivit un événement vécu, comme le grand drame, dont il était le satellite intérieur, disait la mission contemporaine du philosophe.

L’Empédocle de Nietzsche, s’il eût été achevé, aurait dit la vie et la doctrine de Tribschen, et le rôle de la réforme wagnérienne dans le péril présent. Catane, petite cité sicilienne, au pied de l’Etna, signifie tout le présent état social, sur lequel planent des dangers brutaux. Toute la Sicile, déchue, aujourd’hui « barbarise ». Dans, une maison de campagne, aux portes de la ville cependant, deux femmes de distinction, Lesbie et sa fille Corinne gardent la pure tradition hellénique.

Ainsi Nietzsche à Tribschen avait eu de Cosima de Bulow cette impression immédiate qu’elle était « la seule