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y montrera que les inventions les plus singulières de la technique wagnérienne sont anticipées par la métrique grecque, et nécessitées par le progrès de la sensibilité humaine.


II

le fragment d’empèdocle et l’idéalisation d’ariane-cosima


Ces choses apparaissaient à Nietzsche et l’emplissaient d’ivresse orgueilleuse. Les découvertes qu’il faisait à mesure qu’il déchiffrait l’écriture obscure des traités de Wagner, et le langage si clair de son art, confirmaient sa vocation. Par delà la musique du plus grand des musiciens, il avait discerné le secret de toute musique, et dès lors le secret de toute philosophie. Prodigieuse découverte. Mais comment la décrire ? Parlerait-il en philologue ? Cette âme mystique, qui s’était formée en lui, comment s’ouvrirait-elle de son émotion ?

Elle aurait dû chanter cette « âme nouvelle » — et non point parler ! Combien il est dommage que je n’aie pas osé dire en poète ce que j’avais à dire ! J’en aurais peut-être eu le pouvoir[1] !

Cette hésitation et ce projet expliquent le fragment à d’Empédocle. Il est plus éloigné du beau poème d’Hœlderlin que ne le sera le Zarathustra[2]. Mais si Hœlderlin avait symbolisé dans Empédocle le crime même de la philosophie allemande, pour Nietzsche il signifiait le crime dont sa propre philosophie courait le risque. Empédocle détient le secret d’une vérité terrible qui conduirait au suicide volontaire les peuples incapables d’en

  1. Préface de 1886 à Geburt der Tragœdie. (W., I, 5.)
  2. V. nos Précurseurs de Nietzsche, p. 76 sq.