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survivantes des morts, et la sienne à la cime. J’ai essayé de décomposer cette clarté multiple qui, au bord de notre ciel, laisse une si longue traînée de feu.

La biographie d’un tel homme ne se bornera donc pas à compter les rencontres humaines fortuites que le destin lui a réservées, à dénombrer ses maîtres et ses amis, à évaluer les dons qu’il reçoit d’eux on qu’il leur prodigue. Il entretient avec toutes les idées, dont se repaît son âme avide, une vivante amitié. Si j’ai voulu relire tout ce que Nietzsche avait lu, c’est qu’il ne choisit pas ses lectures au hasard. Des affinités préexistantes le guident.

« Tout ce qui, dans la nature et dans l’histoire, est de mon espèce, me parle, me loue, me pousse en avant : Tout le reste, je ne l’entends pas, ou je l’oublie sur l’heure…

Quelle que soit mon avidité de connaître, je ne sais extraire des choses que ce qui d’avance m’appartient. Le bien d’autrui, je l’y laisse [1]. »

C’est pourquoi J’ai tenu à pénétrer dans l’atelier secret où il peine sur ses livres, dans le paysage intérieur où il rêve et dans la brûlante atmosphère de forge, où il dose les alliages de ses idées. J’ai peut-être ainsi pu savoir de quels métaux il fond se, cloches les plus sonores, le livre sur La Naissance de la Tragédie et le Zarathustra ; à quels physiciens, à quels biologistes il demande conseil pour sa théorie de la matière et de la vie ; de quels matériaux de folk-lore et de sociologie, de quelles études d’exégèse, de sanscrit ou de zend il alimente ses doctrines sur l’art, sur la morale, sur la religion, sur la civilisation ; de quels mythes orientaux il extrait la pierre philosophale chimé-

  1. Fröhliche Wissenschaft, §§ 166, 242 (W., 184, 199).