Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/199

Cette page n’a pas encore été corrigée

de pouvoir s’élever par elle. Les dieux sont une surhumanité inventée par amour, et par ce besoin, profond en l’homme, de poser partout en dehors de lui son image embellie sur laquelle à son tour il va se modeler.

Telle avait été la pensée de Wagner, et Nietzsche ne la contestera pas, mais il n’en sera pas satisfait. Il lui fallait rectifier cet exposé qui gauchissait à tout instant par inexpérience philosophique. Il reprit une à une les thèses wagnériennes : celle du rôle secondaire de l’intelligence ; celle sur le rôle de l’imagination naturelle et créatrice. Assurément, Schopenhauer avait mis Wagner sur la voie d’explications nouvelles qu’il n’avait pu apercevoir dans ses premiers temps. Nous verrons Nietzsche les emprunter [1]. Mais son point de départ, ce seront toujours les lacunes du système wagnérien. Son stimulant dans l’effort, ce fut l’admiration sincère qu’il eut pour l’art de Wagner. Sa refonte de l’esthétique wagnérienne aboutissait à deux théories extrêmes. 1° Il fallait comprendre par quel mirage se dresse dans l’humanité la vision mythologique. Il y faut un sortilège mental impossible à concevoir si l’on n’a pas réussi à se figurer le sentiment primitif de la vie, grâce auquel les Attiques se sentaient métamorphosés en satyres, et savaient revivre les temps où la race humaine se détachait lentement de la terre et des bas-fonds de l’animalité. La théorie du dionysisme manquait à la théorie wagnérienne. — 2° Wagner s’était livré à des spéculations vagues sur la « mélodie infinie », dont l’ondulation s’approfondit par l’harmonie et se régularise en lames régulières où surnagent des formes rythmées. Nietzsche substituera à cette rhétorique une philosophie du rythme, dans l’art et dans la vie. Il

  1. V. notre t. III : Nietzsche et le Pessimisme esthétique, au chapitre de la Philosophie de l’Illusion.