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hommes. Cette action suggestive appartient à l’imagination.

L’esthétique entière de Wagner repose sur l’idée qu’il s’est faite des rapports entre l’intelligence, le sentiment et l’imagination. L’imagination naturelle condense, avec l’aide du sentiment, les images qui nous viennent des sens. L’imagination artiste en imprègne la matière externe. Besoin naturel que d’extérioriser ainsi les images dont nous sommes remplis. Notre vitalité, la valeur et l’énergie de la personne humaine se mesurent par une comparaison des images internes avec la réalité du dehors. Nous les posons hors de nous par des créations visuelles ou sonores, qui prennent racine à leur tour dans le réel. Notre trésor d’images alimentait notre vigueur : nous la démontrons, si nous créons. La volonté se définit, pour Wagner, un sentiment guidé par des images. L’intelligence n’avertit les hommes que de ce qui est matériellement possible et socialement juste. L’émotion imagée traduit leur vitalité même, et elle crée leur sociabilité. Les images qui manifestent une émotion éveillent la même émotion dans les autres hommes. L’art établit un lien entre les hommes par l’enthousiasme contagieux qui se dégage des images belles. Or, de toutes les façons de fasciner le sentiment par des images, le mythe est la plus parfaite [1], car il va jusqu’à transposer la nature en humanité. Le cœur de l’homme ne connaît que lui-même, et c’est lui-même qu’il retrouve dans la nature quand il prétend la sentir. Mettant en présence de la nature l’image qu’il s’en est faite, il découvre qu’il a compris la nature étrangère comme une humanité. Admirable confusion. Ce qui est plus puissant que lui, puisqu’il en sort, il l’imagine pareil à lui, afin de pouvoir l’aimer. Il transforme la nature des choses, afin

  1. R. Wagner, Oper und Drama. (Schriflen, IV, p. 31.)