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d’art à la tragédie grecque. Pourtant, la collaboration qu’il attendait de Nietzsche n’était pas surtout de celles où sa vanité trouvait son compte. Ils avaient parcouru ensemble plusieurs étapes de pensée. Ils s’attachaient tous deux à ces pensées d’un cœur également passionné, mais ce cœur était différent ; et la pensée de Wagner était fixée, quand celle de son jeune ami était en pleine formation. Il devait leur arriver tôt ou tard de se trouver en parfait désaccord.

I. La révision des doctrines wagnériennes par Nietzsche. — Richard Wagner, on l’oublie trop, était parti de la tragédie grecque pour concevoir la forme de son opéra nouveau. Si bon humaniste qu’il fût, il reconnaissait à Nietzsche une science grecque infiniment plus approfondie. Son attitude devant le néophyte sut éviter les apparences protectrices, mais Nietzsche n’était jamais en défaut quand il s’agissait de diagnostiquer l’orgueil latent. De son côté, Nietzsche ne trouvait pas seulement, à suivre Wagner, la satisfaction d’un génie naissant qui se sent deviné par le génie reconnu. Tandis que son cœur se soulève du grand pathétique wagnérien, il va sourdre en lui une émotion qui lui appartient en propre et une pensée personnelle. Il commence sur Wagner un travail critique. Il a l’ambition de reconstruire l’esthétique de Wagner, qui, dans les grands traités de 1848 à 1851, s’attardait à une philosophie que ne justifiait plus l’œuvre réalisée. Ces traités de doctrine, rédigés dans la terminologie de Feuerbach, il fallait les récrire en termes schopenhauériens. Wagner, écrivant son traité à Oper und Drama, songeait à la Tétralogie, achevée dans son livret, commencée dans sa composition. Le traité ne reflète que cette œuvre en voie de naître et s’efforce de plaider pour elle. La pensée de Nietzsche fut