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dans le cénacle orgueilleux des Schopenhauériens ou la cabale des philosophes de gouvernement. Peut-être professait-il un peu trop le scepticisme de Ben Akiba, dans l’Uriel Akosta de Gutzkow : « On a vu déjà toutes ces choses. » Mais il savait estimer en Schopenhauer une humanité également grande par ses qualités et par ses vices. Sans accorder toutes ses sympathies à l’indifférence du philosophe en matière politique, il ne pensait pas non plus que les choses de l’État importassent seules. Longtemps avant qu’il eût avec Treitschke cette correspondance où leur amitié sombra, il était solidaire de Nietzsche dans plusieurs préoccupations. Il était d’avis que la guerre de 1870 avait été inféconde pour la culture de l’esprit allemand. Il n’était pas éloigné de penser qu’elle avait sa part dans la corruption contemporaine. Il ne poussait pas le cri désespéré de : Finis Germaniae ! Il restait toutefois peu confiant dans l’avenir ; et la préoccupation nietzschéenne d’utiliser le mouvement politique allemand pour des fins de civilisation intellectuelle ne lui paraissait pas le signe d’une hostilité contre l’Empire nouvellement fondé, mais d’un souci plus profond et plus clairvoyant des choses de la patrie[1]. Pas plus que le schopenhauérisme outré, il n’a partagé le wagnérisme intempérant de Nietzsche, témoignant ainsi d’un goût sévère auquel rend hommage l’évolution ultérieure de son ami. Sa réserve le mit en garde contre Tribschen. Il lui fallait des preuves tangibles et une expérience convaincante : mais ni sa sensibilité ni son intelligence n’ont jamais été en défaut devant l’évidence. Tristan et les Meistersinger l’ont conquis. Bayreuth aura plusieurs fois sa visite, après 1873, S’il n’a pas eu toujours

  1. V. les lettres à Treitschke, dans C.-A. Bernoulli, Franz Overbeck, I, pp. 82-100.