Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sociale. Ainsi cette pensée de flamme instruisait à son tour la pensée plus mûre de son tranquille et savant ami. Il était « contre nature » que le savant fût le maître du poète ; et non moins que le génie poétique et réformateur, encore tout juvénile, prétendît enseigner à un esprit armé surtout de savoir et de méthode. Mais il en fut ainsi. Leur amitié se nuança donc toujours de considération déférente et réciproque. De quel côté fut l’influence décisive ? Il n’y a pas de doute. En Nietzsche brûlait une ambition philosophique et un besoin de prosélytisme qui manquait à Overbeck. Ce fut la plus profonde de leurs différences et celle qui les délimite le mieux. Plus d’une fois Nietzsche, dans l’ardeur de sa prédication, s’est heurté à la résistance de cette pensée critique, intraitable et qui jugeait la bonne méthode une suffisante éducatrice. Jamais Overbeck ne contesta la supériorité de Nietzsche. Pour lui Nietzsche fut dès ses débuts à Bâle et resta jusqu’à la fin de sa vie l’ « homme le plus extraordinaire » qu’il eût rencontré[1]. Il reconnaissait sans jalousie les qualités par lesquelles Nietzsche excellait, et l’en aimait davantage. Il se laissait imprégner doucement par un enseignement philosophique qui lui était donné avec grâce[2]. Il se sentait éminent ailleurs ; et ce sont ces qualités éminentes qui, à leur tour, lui valaient l’admiration de Nietzsche. Ils devinrent indispensables l’un à l’autre, dès le temps de leur vigoureuse et juvénile entrée dans la science.

Ils avaient des idées communes, malgré des soucis très différents, nécessités par leur spécialisation scientifique. Overbeck a dit d’eux, qu’ils étaient deux tempéraments de savants qui essayaient de dépasser la science. Cette

  1. Overbeck über die Freundschaft mit Nietzsche. (Bernoulli, I, p. 66.)
  2. Overbeck, Préface de Christlichkeit, p. 15.