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jeux rustiques et cloche de minuit, où des staccati savants décrivaient les étoiles. Peut-être fut-il imprudent de la produire un jour à Tribschen, chez Wagner, qui en sourit[1]. Mais même aux jours de travail, ils n’étaient pas seuls. Ils partageaient leur repas du soir dans le cabinet d’Overbeck ; et ce fut ainsi que s’établit entre eux cet échange d’idées, qui devint une collaboration de tous les jours.

Overbeck a insisté souvent sur la force de l’influence qu’il subit alors[2]. De son côté, il eut sur Nietzsche une action calmante, instructive, salutaire. Ils étaient aussi différents que possible au physique et au moral. Overbeck, dans sa redingote flottante de théologien, avec sa face glabre et maigre qui le faisait ressembler un peu à Érasme, un peu à Mommsen[3], par le flegme de sa diction et de toute sa personne, marquait même au dehors le savant méditatif et prudent. Le sourire dont se plissaient ses lèvres et le regard acéré qui jaillissait de ses prunelles sombres trahissait une intelligence sceptique très capable de courage agressif. Mais Overbeck n’avait ni l’élégance négligée avec laquelle Nietzsche savait nouer sa cravate ; ni cette recherche de correction qui lui faisait considérer le chapeau haut-de-forme et, en été, la redingote grise comme de rigueur[4]. Cela ne veut pas dire que Nietzsche fût un dandy de salon. On lisait une infinie gravité dans ses yeux étincelants, tantôt rêveurs et comme absents, tantôt d’une fixité inquiétante, et qui semblait distinguer derrière les choses une réalité aperçue de l’âme seule.

Aucun des deux ne se livrait tout à fait. Ce n’était pas

  1. Corr., I, p. 196 ; V. p. 221. — Julius Piccard, dans C.-A. Bernoulli, Franz Overbeck, I, p. 169. — Sur le sens de cette symphonie, V. plus bas.
  2. F. Overbeck, Christlichkeit der heutigen Théologie, 2e édit., p. 13.
  3. C.-A. Bernoulli, Franz Overbeck, II, p. 133.
  4. Ibid., I, p. 72.