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de services plus grande d’un an[1]. Un hasard heureux, des convenances multiples, qui les poussèrent à unir leurs deux solitudes, en firent d’abord des voisins, et puis des amis. Durant ces cinq ans passés sous le même toit, dans cette gentille, et simple maison du Schützengraben, n° 45, qui donne sur une belle allée d’arbres, avec un jardinet qui la sépare de la rue et un plus grand jardin au fond, Overbeck occupait le rez-de-chaussée, Nietzsche le premier étage. Il se noua entre eux une entente pour la vie, discrète et sûre, sans le feu romantique de l’amitié enthousiaste qui avait uni Rohde et Nietzsche à Leipzig, mais dont la flamme tranquille et droite ne connut pas de défaillance.

Ce fut une amitié sérieuse entre jeunes célibataires pleins d’une haute ambition intellectuelle. La responsabilité d’une profession difficile et la conscience d’une œuvre à accomplir donnaient une tenue très digne à leur vie. Nous ne devons pas nous représenter cette vie trop maussade. Nietzsche fit entrer Overbeck au cénacle de la Tëte d’Or, où il prenait ses repas. Leur réunion s’appelait plaisamment « l’usine aux poisons » {Gifthütte), parce qu’on soupçonnait ces jeunes pessimistes d’y brasser de dangereux paradoxes. La sympathie des collègues ne fut peut-être pas unanime. Celle du monde ne leur manqua jamais. Les lettres de Nietzsche à sa mère et à sa sœur sont pleines de comptes-rendus qui attestent la cordialité et le luxe de l’hospitalité bâloise. Franz Overbeck fut souvent de ces fêtes. Parfois, dans les réceptions les plus intimes, on les priait de se mettre au piano. Ils jouaient alors à quatre mains quelque composition de Nietzsche, comme cette Sylvesternacht, avec procession,

  1. Overbeck est né en 1837 à Saint-Pétersbourg, d’un commerçant de famille francfortoise, naturalisé anglais, et d’une mère française.