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de cette collaboration intellectuelle, où s’alimentait pour la vie sa pensée inlassablement curieuse. On a dit que les amitiés de Nietzsche ont toutes été des tragédies. Le mot est d’un polémiste égaré[1]. Aucun homme n’a été plus fidèlement, plus constamment et plus intelligemment aimé que Nietzsche. Il a vécu très seul, d’une solitude voulue, durant sa première année bâloise ; dès sa seconde année, il connut toutes les satisfactions que peut donner le commerce quotidien d’un homme très sûr, très bon, et supérieur par plusieurs dons essentiels de l’esprit, comme fut Franz Overbeck, Cette amitié, l’une des plus pures que l’on puisse rencontrer dans l’histoire intellectuelle des Allemands, n’a pris fin qu’avec la mort de Nietzsche, et par delà sa mort elle s’est affirmée noblement par des témoignages directs, décisifs, innombrables. Si Nietzsche s’est senti solitaire malgré cette affection si éclairée et si profonde dont il a été accompagné toute sa vie, c’est que la destinée le réservait pour une mission où aucune amitié ne pouvait le suivre. Mais aux instants de loisir et de détente, il revenait, avec reconnaissance, à l’intimité d’un homme de cœur qui fut un grand sage. Et plus tard, dans ses pérégrinations, quand il sera seul, besogneux, souffrant, cette amitié vigilante le suivra encore de loin. Elle sera présente, la première, au jour de l’effondrement.

Overbeck, nommé à Bâle pour occuper la chaire d’histoire de l’Église, avait trente-deux ans, sept ans de plus que Nietzsche, qui, de son côté, avait une ancienneté

  1. Leo Berg, Nietzsches Freundschaftstragœdien, 1906, d’abord dans trois articles de la Taegliche Rundschau. Ces articles appelèrent une protestation signée de trente professeurs allemands et suisses, tous éminents et de nom sans tache, et qui, ayant connu Franz Overbeck, se sentaient tenus, en conscience, de défendre la mémoire de ce grand honnête homme. V. C.-A. Bernoulli, Franz Overbeck, I, p. 424.