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Elle nécessitait un long recueillement, une mise en commun de toutes leurs ressources d’esprit, une franchise mutuelle qui ne passerait de faiblesse à aucun. L’instinct réformateur et pédagogique, une fois de plus, ressaisissait ce Thüringien enflammé de wagnérisme et qui de l’amitié même faisait un sacerdoce. En vain Rohde opposait des raisons marquées au coin du bon sens. Il alléguait leur pauvreté ; et, disposé à reconnaître que le génie, Wagner ou Nietzsche, avait le droit de se détourner hostilement du monde, il bornait son ambition à plus de modestie. Il ne revendiquait pas les privilèges des âmes créatrices. S’il souffrait de la foule, il ne voulait pas cependant quitter sa place dans l’atelier social. Supérieur à Nietzsche du moins dans l’entente de la vie pratique, car il n’y avait pas de moyen licite, si étrange fût-il, dont Nietzsche désespérât. Des billets de loterie fourniraient les premières ressources[1], et ils demanderaient pour leurs premiers ouvrages les plus prodigieux honoraires. Nietzsche ne se doutait pas qu’un jour viendrait où il ferait imprimer à ses frais ses meilleurs livres, et qu’ils resteraient empilés chez son éditeur. Mais l’idée de jeter parfois l’hameçon parmi ses contemporains, en pêcheur d’hommes préoccupé d’attirer dans sa solitude quelques âmes choisies, ne le quittera pas même sur le tard, et après un centuple mécompte.


V

franz overbeck


Son métier obligeait Nietzsche à une réclusion où manquait un peu le loisir philosophique, mais non dénuée

  1. Corr., II, 205, 215, 218, 286.