et déjà Nietzsche appelait à la rescousse le vieux Ritschl pour aider son ami. Ce furent deux déceptions[1]. Ils échangeaient ainsi les services et les conseils, mais remettaient à des circonstances fortuites, à des congrès savants, à des séjours de vacances, le soin de les rapprocher. Leipzig offrit son Congrès de philologues en. octobre. À ces agapes qui, le 5 octobre 1871, réunirent Nietzsche, Gersdorff, Pinder et Krug, Rohde ne pouvait manquer. Le pédantisme allemand ne perdait pas ses droits entre ces jeûnes savants sentimentaux ; et leurs plaisanteries prenaient volontiers des formes cérémonieuses. Nietzsche proposa qu’à date fixe, pour se sentir unis en dépit de la distance, ils fissent une libation aux « génies » ; et c’est ainsi que, le 22 octobre, Nietzsche et Overbeck à Bâle, en présence de Burckhardt ; Rohde à Kiel et Gersdorif à Berlin, versèrent par les fenêtres, pour remercier les puissances démoniaques, chacun la moitié d’un verre de vin rouge, dont ils burent l’autre moitié[2].
Ces jeux ne trompaient pas leur spleen. Une pensée alors hantait Nietzsche : un homme solitaire était nécessairement infirmité et détresse. Un groupe d’amis formerait un être vivant digne et capable de joie[3]. Dès 1870, Nietzsche avait formé le plan d’une vie monacale à plusieurs, dans un « cloître des Muses ». Il revenait à présent à ce plan. L’œuvre d’art projetée à Bayreuth trouverait dans cette Académie platonicienne son complément. La société présente dépérissait faute d’éducateurs. Eux-mêmes, Nietzsche et Rohde, si orgueilleux, sentaient leur insuffisante préparation. L’œuvre était non seulement de sagesse et de pureté, mais d’inventivité. Elle exigeait d’être créée comme une œuvre d’art.