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resté sans orages. L’avenir leur réservait à tous deux assez de douleurs pour que s’effaçât entre eux le souvenir des litiges de jeunesse. Mais ce n’est pas cela que Nietzsche appelait de l’amitié.


III

carl von gersdorff


Celui des amis auquel le reliait l’amitié la plus ancienne fut ce jeune baron Cari von Gersdorff, qu’il tutoyait depuis Pforta. Nietzsche l’aimait, sans doute parce qu’aucun de ses amis ne complétait mieux sa propre nature. Les autres étaient des savants et des penseurs. Gersdorff fut un homme d’action. De haute et forte stature, il tranchait sur ces hommes de cabinet qui, de leurs veilles, gardaient comme une pâleur. Il représentait le hobereau de l’Allemagne du Nord, mais cultivé[1]. Il fit des études d’Université assez poussées, d’abord à Gœttingen, comme il convient à un jeune féodal, puis à Leipzig où il avait retrouvé Nietzsche. De Potsdam où il faisait son volontariat, il était venu à l’Université de Berlin faire ses études de droit et de germanistique. Sa situation de cadet de famille le désignait pour la carrière militaire. Pourtant Nietzsche le fait confident, avant tout autre, de ses croyances nouvelles, de ses projets de livres, de ses pensées. Il sera toujours regrettable que nous n’ayons pas ses réponses aux lettres affectueuses, joviales ou mélancoliques de son ami. Elles feraient ressortir une image héroïquement juvénile qu’on

  1. « Ein echter kräftiger Repräsentant aller tüchtigen Eigenschaften des Nord-deutschen Wesens ». Corr., V, 213.