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II

heinrich romundt


Parmi les jeunes schopenhauériens du cénacle de Leipzig, il y avait, en 1868, im adolescent confus, capable d’étonnement naïf et philosophique, et vers lequel Erwin Rohde, avant Nietzsche, s’était senti attiré : Romundt. Il avait eu peine à trouver sa voie ; et, trop fantaisiste, semblait peu fait pour devenir un « bourgeois ». « L’intelligence, le bon vouloir et l’impuissance se mêlaient en lui sympathiquement. » Il faisait, à vrai dire, de mauvaises tragédies.

L’étincelle poétique dans notre ami, disait Nietzsche, n’est pas assez forte pour tuer des bœufs, mais suffisante pour abrutir un homme. Je l’ai prié instamment de mettre un terme à cette dangereuse pyrotechnie.

Mais il tenait Richard Wagner pour le plus grand poète de l’époque, et, tout compte fait, il fallait prendre intérêt à l’étrange et mobile camarade[1]. Sans le mettre à leur propre niveau, Nietzsche et Rohde le reçurent comme un des leurs. Il avait une fidélité dans la subordination qui touchait. Il accueillit avec enthousiasme la leçon inaugurale de Nietzsche. Il eut le courage de lire à la « Société philologique » de Leipzig l’essai de Nietzsche sur Socrate et la tragédie qui devait y soulever une émotion si durable. Il renseignait son ami sur les hostilités qui se préparaient sournoisement. Il fut non seulement son allié dans cette crise de plusieurs années ; mais il fut peut-être son premier et principal disciple.

La trajectoire de sa vie le ramena à Bâle. Il y avait

  1. Corr., I, 145, 169 ; II, 50, 81, 109, 202, 213.