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avec le manuscrit florentin un autre récit, dû au Pseudo-Plutarque, et intitulé Convivium septem sapientium. Il montrait que le Certamen n’est qu’une réduction d’un récit plus grand et disparu, qui a dû être le Musée du rhéteur Alcidamas ; et que ce Musée a dû être une sorte de traité usuel de rhétorique. Homère est couronné pour l’ingéniosité de sa riposte dans l’interrogatoire. C’est qu’Alcidamas est disciple de Gorgias, qui, à l’inverse d’Isocrate, accorde une importance prépondérante à l’improvisation ; et il apparaissait une fois de plus que les traditions littéraires se forment et se déforment sous des influences sociales, qui sont des passions de sectes, de classes, d’écoles, de multitudes[1].

Mais, négociant pour lui-même, Nietzsche était actif aussi pour ses amis. Il faisait la paix entre Ritschl et Erwin Rohde. Il stipulait discrètement auprès du maître que la collaboration de Rohde était la condition de la sienne, et déracinait peu à peu de l’esprit du disciple la rancune qu’il avait gardée depuis le temps où le Rheinisches Museum avait refusé son travail sur Lucius. Le caractère de Nietzsche était impérieux affectueusement. Il voulait dominer, mais dans une amitié. Il imposait avec douceur ses amis à ses amis, et ainsi obligeait Ritschl à accueillir Rohde ; puis introduisit Rohde chez Richard Wagner.

Dès janvier 1870, dans le grand silence bâlois qui pesait sur lui comme une angoisse, il avait poussé vers Rohde un cri désespéré : « Je t’implore, comme implore un malade… Viens à Bâle[2] ! » Rohde, comme Nietzsche, était un philologue artiste, redouté de ses confrères et rempli pour eux de haine. Depuis le printemps de 1869, il voyageait en

  1. Philologica, I, p. 215 sq. Les deux premiers chapitres seuls sont de 1870.
  2. Corr., II, 180.