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Or, quelle plus délicate flatterie offrir qu’un panégyrique doctrinal, où Wagner est situé au plus haut sommet de l’art ? C’est ce que sut faire Nietzsche. Au risque de chagriner les survivants, il nous faut noter ici les débuts d’un des grands romans d’amour platonique du xixe siècle, d’un roman silencieux et douloureux, resté inconnu presque jusqu’à nos jours.

La familiarité de cette vie ne nuisait pas à sa distinction parfaite, et elle grandissait sans descendre. Dès novembre 1869, Cosima écrivait à Nietzsche : « Vous êtes (le la maison. » (Sie sind uns ein Tribschener). Elle lui demandait de menus services en foule, allant jusqu’à le charger des achats de Noël pour ses enfants. Il corrigea les épreuves de cette Autobiographie de Wagner, rédigée sans doute pour une part par Cosima, et restée quarante ans le secret d’un petit nombre d’amis. On lui confiait les tristesses de la maison, quand affluaient les nouvelles des mauvaises représentations, et quand les projets lointains, si longtemps couvés, menaçaient de sombrer. À ces heures-là, et quand on ne lit plus rien, on lit à Tribschen, pour se réconforter, les premiers essais manuscrits que Nietzsche envoie de Bâle. Car ces essais sont surprenants de hardiesse. À suivre la pensée du jeune professeur, il semble que l’œuvre wagnérienne ait pour devancière la tragédie grecque, et que la vocation de Wagner soit de retrouver, avec des moyens nouveaux, la tradition d’Eschyle. Tout l’orgueil wagnérien alors se ravive. Il pénètre de sa puissante flamme l’amitié qu’il éprouve, vieillissant, pour ce jeune messager de sa gloire ; et, pour la première fois, Wagner se croit compris.

Comment ne pas voir le danger pour l’âme mobile de Nietzsche et pour sa nature d’apôtre ? Il ira prêchant sa foi, comme il avait fait pour Schopenhauer. Ensuite, il faut que sa foi résiste à son doute. Il est d’abord tout