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Florence et de Rome. Il y vient s’enivrer de sa vocation nouvelle. Tout ce que la richesse de deux esprits étonnamment agiles et inventifs et la grâce d’une femme un peu hautaine, mais de goût exigeant et sûr, peuvent ajouter au charme de la vie, embellit cette idylle du lac de Lucerne. Est-ce la peine d’ajouter que Nietzsche a infiniment admiré Cosima ? Agée de trente ans à peine, elle était plus près de lui par l’âge que de Wagner presque sexagénaire. Sans être belle, trop élancée, dépassant Wagner de toute la tête, avec le profil dantesque de son père Franz Liszt, Cosima avait grand air. Possédée de cette ambition de dominer, qui était sa nature même, croit-on qu’elle n’ait pas essayé de son ascendant sur ce jeune génie qui l’approchait ? Et Nietzsche, comment n’aurait-il pas songé à l’éblouir ?

D’une audace très altière dans sa conduite, Cosima était grande et respectable à force de sincérité. Elle avait brisé le cœur d’un noble artiste, Hans von Bülow, dont elle avait quatre enfants. Depuis deux ans qu’elle vivait auprès de Richard Wagner, elle était grisée comme par un philtre trop fort. Le drame de Tristan et d’Iseult, que Wagner avait écrit, tout rempli encore du songe d’une autre, Cosima l’avait vécu en entier. Wagner lui laissait à présent la liberté de sa griserie. Peut-être a-t-il observé sur elle plus d’un trait de l’ensorceleuse qui, dans son Parsifal, s’appellera Kundry. Il était sûr d’elle au fond pourtant, et savait la dévotion avec laquelle elle servirait toujours ce Saint-Graal nouveau, la musique wagnérienne.

Pour celui qu’elle n’a jamais cessé d’appeler « le maître » même devant les intimes, Cosima a toujours exigé la plus déférente admiration. Mais, en groupant autour de lui une cour d’admirateurs, elle ne trouvait pas illégitime de recevoir son tribut d’hommages.