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de son œuvre littéraire. Sa pensée s’alimentait de son savoir, et la moindre explication de texte était pour lui une exploration. Dans le semestre de ses débuts, de Pâques à l’automne de 1869, ses leçons sur Eschyle et les lyriques grecs posaient la question des rapports de la musique et de la tragédie. Il expliquait le Phédon au « Pædagogium », et il saisissait l’occasion de « contaminer de philosophie » ses élèves. Sa pensée vivifiait ainsi son travail élémentaire par des interprétations nouvelles.

La tâche commencée semblait convenir au meilleur et au plus fidèle disciple de Ritschl. Nietzsche s’en rendait compte. Il passa ses courtes vacances des mois de juillet et d’août à Interlaken, puis au mont Pilate et à Bodenweiler. Tandis qu’il se recueillait dans les nuées au-dessus du lac des Quatre-Cantons, il ne manqua pas de se féliciter avec ferveur d’avoir reçu l’impulsion ritschlienne [1]; et Ritschl lui faisait un touchant accueil quand, au mois d’octobre, Nietzsche courut le voir à Leipzig. Il demeurait toujours le vieux maître de qui on prenait conseil pour les publications à venir. Fallait-il publier un faisceau de recherches éparses qui compléteraient les articles de Nietzsche parus km Rheinisches Museum ? Quelque « pot-pourri à la mode de Leipzig » ? ( « Leipziger Allerlei ? » ) Dans ce projet, le sévère Ritschl reconnaît la mobilité nerveuse de son élève préféré. Il conseille formellement, pour la discipline de l’esprit et par bonne politique, un ouvrage massif, cohérent. Que serait ce livre ? Traiterait-il, en 600 pages peut-être, de la question homérique, par laquelle Nietzsche avait inauguré son enseignement ? Serait-ce un vaste ouvrage, érudit et philosophique, sur Eschyle [2] ? Nietzsche ne le savait pas encore, mais de

  1. Corr., III, 70.
  2. W., IX, 450, 439.