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année, tout l’auditoire. Les maîtres les plus illustres, Burckhardt non excepté, étaient tenus, en outre, dans le Pædagogium voisin, de préparer à l’enseignement supérieur une élite d’élèves de la plus haute classe [1]. « Quel tyran, qu’un tel métier ! », écrivait Nietzsche à son ami Deussen, en juillet [2]. Pourtant, ce métier astreignant le servait aussi. Nietzsche avait toujours senti le danger de sa mobilité imaginative. C’est un remerciement sincère que, l’année finie, il adresse à Ritschl, responsable de cette nomination qui lui imposait le bienfait du travail régulier [3]. Pour impatient qu’il fût bientôt de cette tâche monotone, il y trouvait provisoirement le repos de la conscience. Car sa fantaisie se corrigeait par un sens méticuleux du devoir. Il savait être le plus brillant des professeurs et aussi de tous le plus exact. On le redoutait, quoiqu’il fût le plus silencieux des juges. Les plus espiègles le respectaient. Il retrouvait, pour les paralyser, le regard profond et doux, un peu chargé d’interrogation méprisante qui avait, dès l’enfance, subjugué ses camarades. Les méditations, dont on le savait rempli en dehors de ses leçons, ennoblissaient sa moindre classe. Il ne se sentait pas au-dessus de cette tâche d’enseignement secondaire. Il se fit assez vite la doctrine qu’il exposa plus tard. L’enseignement était à renouveler par en bas. Les Universités étaient décadentes. On ne pouvait transformer que de très jeunes esprits. Les vieux professeurs et les vieilles institutions d’en haut, il fallait les laisser mourir[4]. Pourtant, son enseignement universitaire aussi a été excellent. Nous aurons à dire l’ingéniosité avec laquelle il a su joindre les exigences techniques du métier et celles

  1. Cela faisait encore six heures de classe. — Corr., III, 66.
  2. Ibid., I, p. 160.
  3. Ibid., III, p. 70.
  4. Il l’écrira à Deussen le 2 juillet 1871. — Corr., I, 183.