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sur la démocratie des faubourgs, orgueilleux de sa richesse ancienne, de ses rubanneries et de ses soieries récemment florissantes, de sa banque puissante et de la nouvelle industrie des assurances, dont le réseau s’étendait sur l’Europe. Cette cité de millionnaires, sortie intacte en 1833 d’une Révolution qui aurait pu lui coûter l’indépendance nationale, ou lui apporter l’asservissement sous la démocratie rurale environnante, s’ouvrait maintenant aux souffles du dehors. Elle n’était pas devenue une ville allemande, comme on avait pu le craindre ; et elle s’était séparée de sa banlieue, érigée en canton autonome, pour rester maîtresse de sa tradition. Une constitution démocratique assurait les transactions entre la grande bourgeoisie et le peuple. Définitivement assise, cette démocratie à présent modernisait sa vie. Elle se répandait en faubourgs aérés, peuplés d’usines ; elle construisait cette cité-jardin qui est celle de ses villas patriciennes. L’afflux alsacien, après la guerre de 1870, allait hâter la transformation. Il n’est jamais mauvais qu’un Allemand du Nord monarchique voie de près l’Allemagne républicaine, c’est-à-dire la Suisse. Treitschke a dit combien de qualités manqueraient à l’Allemagne, si elle ne se prolongeait par un pan de démocratie helvétique. L’imperfection des travaux allemands sur les démocraties grecques et sur la Renaissance italienne vient souvent de ce que leurs auteurs n’ont pas vécu en république. Un canton suisse est peut-être le dernier vestige d’une vie politique analogue à celle des cités antiques, petites et attachées au passé, mais où le patriciat lui-même a des traditions populaires.

La ville où Érasme et Sébastien Castellion ont enseigné, et qui eut de célèbres officines d’imprimerie dès l’origine de la typographie, n’a jamais méprisé la science. Elle gardait depuis le xvie siècle un renom d’humanisme.