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de Démocrite, faisons-nous une image vivante de l’homme qui a édité ses écrits, de ce Thrasylle, Égyptien taciturne, voué à la magie par excès de science, et si pur et imposant que Tibère lui-même l’entourait de respect. Figurons-nous cet autre Égyptien, le médecin pythagoricien Bolus, qui fait circuler ses écrits sous le nom de Démocrite. Que peut-il y avoir d’authentique dans la tradition démocritéenne, transmise par des hommes qui servent la vieille gloire de l’Égypte ? Quoi d’étonnant si on prête à Démocrite une vie secrète, chaste, pythagoricienne, des écrits de médecine, de musique et de magie, tout un faux éclat égyptien ? Nietzsche ne laisse donc subsister de Démocrite presque rien, que des fragments empruntés à deux livres.

Mais ces livres attestés par Pyrrhon, Épicure et Aristote suffisent à reconstruire le philosophe vrai. Si, sur certaines discussions, Nietzsche n’est jamais arrivé à conclure, l’image de Démocrite a surgi pour lui des fragments avec une netteté qui justifie la tradition. Il n’est pas sûr que Démocrite ait été le créateur d’un grand et nouvel algorithme métaphysique. Il est, en tout cas, un des esprits les plus vigoureusement systématiques qu’il y ait eus au monde et le premier qui ait voulu « s’affranchir de tout inconnaissable »[1]. Peut-être a-t-il construit son système trop vite, en triant dans ses devanciers les idées seulement qu’il sentait homogènes aux siennes. Démocrite, le premier, a cru à la valeur absolue des méthodes rationnelles. Il nous offre le premier échantillon d’une pensée virile, et toute nettoyée de mythe ou de finalité. Le premier, il a construit du monde une image faite d’idées claires. Il est le premier grand idéaliste. Son atome est une idée hautement

  1. Philologica, III, p. 320 sq.