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d’estomac revint. À l’affaiblissement de la diète s’ajouta la dépression des soins interminables, quand on s’aperçut que des esquilles, après trois mois, empêchaient la cicatrice de se refermer. Nietzsche traîna cinq mois une convalescence qui se termina en août, aux bains de Wittekind, mais le brevet de lieutenant ne lui aurait pas échappé après une nouvelle période d’instruction, tant l’armée prussienne avait besoin de cadres en un temps où elle préparait et attendait avec certitude une grande guerre[1]. Des événements imprévus en décidèrent autrement.

La croyance schopenhauérienne, si stimulante, lui prescrivait avant tout de ne pas se laisser détourner de sa vocation. Son année de service militaire, rude et sevrée d’amitiés, fut aussi un temps d’arrêt où sa pensée se ramassa pour un nouvel élan. Dans un prodigieux effort, et durant les mois les plus pénibles de l’hiver, il essaya de pousser ses études en dehors des heures de caserne[2]. Ritschl l’attelait, et lui demandait pour son Rheinisches Museum un index qu’il mit plusieurs années à achever. Le vieux maître cachait de ces ironies affectueuses dans les services qu’il rendait à ses étudiants, et pour ces travaux méticuleux et subalternes réclamait précisément les soins des plus capables[3].

Cela n’empêchait pas en Nietzsche la fermentation de projets personnels. Ses études sur Dioclès et sur Thrasylle lui avaient permis de fixer d’une façon nouvelle la chronologie de Ménippe le Cynique. Elles lui ouvraient une nouvelle interprétation de Démocrite. La personne

  1. Corr., II, 72.
  2. Corr., I, 93 ; II, 109.
  3. Ritschl, Opuscula philologica, t. V, p. 29 : « Keine Arbeit (z. B. ein Wortindex) ist so klein und so gering, dass nicht nur der Beste gerade gut genug ist für ihre vollkommene, gescheite Ausführung. »