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CHAPITRE IV


KLEIST[1]



À quelle époque Nietzsche a-t-il connu Kleist ? Dès le collège sans doute. Mais aucun esprit, dans la littérature allemande d’avant lui, n’a eu plus d’affinité profonde avec le sien. Non seulement Nietzsche le connaît. En réalité l’œuvre de Nietzsche prolonge celle de Kleist et l’absorbe tout entière, comme auparavant l’œuvre de Wagner lui avait paru redire en mieux la pensée kleistienne. Nietzsche et Kleist se ressemblent en tout, par le cœur, par la pensée et même par la destinée. « Il ne me procure que des souffrances, ce cœur éternellement agité, qui, pareil à une planète, incessamment dans son orbite balance de droite à gauche[2]. » Kleist gémissait ainsi sur son âme toujours mobile et si « étrangement tendue »[3] ; et c’est de la même tension et des mêmes brusques revirements de l’âme que souffrait Nietzsche, alors même qu’une pudeur stoïque l’empêchait de s’en plaindre. Il est





  1. Il y a une petite littérature très récente, mais intéressante sur cette question : v. Ricarda Huch, Ausbreitung und Verfall der Romantik, 1902. — Hélène Zimpel, Kleist der Dionysische (Nord und Süd, 1904). — Ottokar Fischer, Nietzsche u. Kleist (Neue Jahrbücher f. d. Klass. Altertum, 1911, pp. 306-519). Surtout le livre de Rudolf Herzog, Heinrich von Kleist (1913) supérieur à Otto Brahm, Heinrich von Kleist, 1883.
  2. KLeist, Lettre à Wilhelmine von Zenge, 9 avril 1801 {Werke. Ed. Erich Schmidt, t. V, 214.)
  3. Ibid. ; 14 avril 1801, t. V, 216.